­L’ornementation géométrique islamique à travers ses tracés régulateurs

« Le tracé régulateur (ou harmonique) est un outil de conception de l’espace utilisé par les bâtisseurs, les peintres, etc. Il permet de le structurer et de mettre en cohérence les éléments qui le composeront. »

― André Paccard

Figure 1

Se pencher sur les motifs de la décoration islamique représente une tâche intellectuelle exigeante. Il s’agit d’entreprendre une analyse approfondie des motifs de décoration géométrique islamique, suivie de l’établissement d’un inventaire exhaustif des motifs, en évitant tout oubli ou négligence. Cette démarche implique également la nécessité de décrire les motifs à l’aide de méthodes et de techniques de conception, une tâche qui transcende la simplicité du langage. Nous sommes enclins à croire que ceux qui nous ont précédés ont déjà fait l’expérience du poids de cette tâche et ont exprimé la notion que un dessin vaut mille mots.

L’art de la décoration islamique est universellement salué comme un raffinement artistique d’ordre géométrique, fusionnant avec élégance la beauté esthétique et la précision mathématique. Les motifs géométriques islamiques ont toujours constitué des sujets d’étude et d’investigation captivants pour les passionnés des disciplines mathématiques et de géométrie.
Les études et investigations scientifiques englobent diverses facettes, allant de la catégorisation symétrique des motifs, comme le défi du pavage et la théorie des groupes, à l’analyse mathématique et géométrique des caractéristiques inhérentes aux motifs eux-mêmes.

Dans le cadre de cet article, notre dessein est de présenter les caractéristiques distinctives des motifs géométriques islamiques en explorant leurs tracés régulateurs. Dans une démarche préliminaire, il serait judicieux de catégoriser ces motifs en deux grandes classes, en tenant compte du concept fondamental de périodicité.

Lorsque l’on aborde spécifiquement les pavages périodiques, leur trait général réside dans leur capacité à maintenir leur structure inaltérée lors de translations dans le plan. Cette propriété englobe cinq catégories de motifs. En contraste, les motifs non périodiques adoptent une approche dissimilaire, caractérisée par un pavage irrégulier, dénué d’un schéma de composition fixe. Ces motifs peuvent prendre des formes variées, parmi lesquelles figurent ceux désignés sous l’appellation Girih.

illustration 1

La base mathématique de leur construction se révèle plus complexe que celle des motifs périodiques. Ainsi, la dichotomie entre motifs périodiques et non périodiques offre une perspective essentielle dans la compréhension approfondie des propriétés géométriques inhérentes aux motifs islamiques étudiés.

Conceptions périodiques

Conceptions des motifs de remplissage

Le terme, introduit par André Paccard, désigne des motifs tels que des carrés, des losanges et des triangles, etc…, fréquemment utilisés pour embellir certaines surfaces sans encombrer l’espace d’une densité de décoration complexe.

illustration 2

Conceptions de motifs d’alternances

Des exemples tels que warqat tin, arrafraf, idih fid khouh… (illustration 3 _ warqat tin)reposent tous soit sur une base carrée, soit sur un cercle inscrit dans un carré. Cette base est ensuite subdivisée selon un système spécifique propre à chaque motif individuel. Il n’existe pas de système commun à tous les motifs, et le motif décoratif extrait n’est généralement pas encadré, les contours extérieurs du motif servant d’axes de symétrie pour couvrir la surface. Le dessin du motif peut s’effectuer au moyen d’une unique ligne, appelée aarq, ou à l’aide d’un qtib dépourvu de largeur définie. La mesure de ce dernier peut varier d’un motif à un autre, présentant ainsi des dimensions distinctes selon le contexte du motif considéré.

Motifs de tracé géométrique attribués à Jules Borgoin

Cette collection est présentée dans son ouvrage Les Éléments de l’art arabe, comprenant environ 210 motifs. L’examen des illustrations des motifs révèle plusieurs observation :
La collection englobe des motifs de type alternatifs ainsi que certains motifs de petites rosaces tel celle de 8, 12…, mais ne présente pas le parallélisme qui gouverne la conception des rosaces dans les motifs du zellij marocain ou celui de l’hasba.
Certains motifs sont réalisés avec des segments de droites, tandis que d’autres sont créés avec des arcs.
Les pièces résultants de la conception lafram n’ont pas de similitude entre elles, chaque motif ayant ses propres pièces extraites de la grille de sa conception.
Les contours extérieurs des motifs ne sont pas encadrés et servent d’axes de symétrie dans leurs quatre directions, tout comme les conceptions des motifs alternatifs.
La conception de ces motifs ne s’appuie pas sur une approche uniforme, ce qui engendre une diversité de motifs.

Conceptions des motifs du zellij marocain et al hasba.

J’ai choisi d’aborder simultanément les conceptions de zellij et d’al hasba en raison de la remarquable similitude entre ces deux styles et des caractéristiques qui les distinguent :
Les motifs de rosaces, que ce soit dans le zellij ou al hasba, peuvent atteindre des dimensions considérables. Certains motifs sont élaborés en utilisant jusqu’à 128 pétales, et il est possible d’obtenir des dimensions encore plus grandes.
Les motifs du zellij et de hasba se démarquent des trois motifs précédents par une similitude frappante, tant dans la méthode de conception que dans les pièces internes appelées laframs.
Les lignes qui composent le dessin de ces motifs sont toutes des segments droits et ne sont pas tracées à l’aide d’arcs.
Les motifs de rosaces dans les styles al hasba et zellij se composent de trois parties : la rosace, l’aachaches, et la zone intermédiaire appelée lahzam. Les deux styles incluent également ce que certains appellent les motifs orthogonaux.
Les motifs de rosaces dans ces deux groupes peuvent être regroupés en ensembles, chaque ensemble comprenant plusieurs motifs, tels que l’ensemble 8 lamtamane qui englobe divers motifs, de même que 12 tnachri, 16 stachri … quant aux différences entre zellij et Hasba, elles découlent principalement de la méthode de conception.
Une fois que le concepteur de zellij a déterminé les dimensions du motif alqasma, il entame la phase de conception par le quart du motif appelée Tirbiaa(illustration 2). Les motifs de zellij les plus couramment rencontrés sont généralement tracés par des artisans du secteur, possédant les compétences et connaissances nécessaires pour assembler les différentes pièces de zellij. Cette compétence influence leurs approches de conception, débutant souvent du côté de l’aachach en direction du naoura la rosace. C’est ainsi que les pièces sont dessinées successivement jusqu’à l’achèvement de l’aachach, pour ensuite passer à la conception de l’naoura.
Il est fréquent que la liaison l’aachach et naoura ne soit pas assurée par les lamtamane, provoquant ainsi des cassures des lignes, ainsi que la contraction de certaines fram. Le motif Alkhamssini illustre cette problématique, incitant les maâllamines à recourir à une pratique de Tasraq (tricherie), où ils réduisent délibérément la taille de certaines fram, en particulier Alkhatim, pour parachever l’apparence du motif. Il est essentiel de noter que cette problématique découle de la méthode de conception plutôt que des limites géométriques, contrairement à certaines interprétations de ce phénomène.
Les motifs de zellig sont tracés à l’aide de laarq, et laqtib est incorporé exclusivement à des fins décoratives dans les compositions finales de certaines œuvres.
Les motifs de hasba sont généralement conçus selon une structure carrée. Les lignes régulateurs du motif sont intégralement tracées à l’intérieur du cadre du motif. En partant de la structure formée par les lignes de construction, on fait émerger les éléments internes du motif, souvent désignés sous le terme fram.
Les motifs hasba sont entièrement réalisés à l’aide de qtib, un élément fondamental dans ce style. Sa largeur représente un quart de l’unité standard appelée zaqaq. La réduction de cette mesure est effectuée soit pour des considérations esthétiques, soit pour simplifier le traçage et le dessin final. Même dans de telles circonstances, la conception doit toujours respecter la valeur de la mesure module.
Les motifs hasba et leurs compositions sont systématiquement encadrés et délimités par azaqaq. Dans ce style, L’aqtib doit toujours demeurer en mouvement voyager (illustration 5), et lorsqu’il semble stationnaire, le motif est qualifié de markouze, ce qui est considéré comme un défaut dans la conception et est généralement rejeté par les maâlmeen (les artisans).
En conclusion, bien que cet article soit concis, nous avons tenté autant que possible de mettre en évidence certains détails distinguant les motifs des ornements géométriques islamique. Nous avons également cherché à étayer nos propos avec des images pour faciliter la compréhension. La réalité est tel que le sujet mériterait une exploration approfondie, et nous espérons y parvenir dans de prochain articles.

Il est l’interface entre l’idée et sa concrétisation. On pourrait le définir comme l’ossature, la règle du jeu d’une construction architecturale, urbanistique ou d’une composition picturale.

[2] Hasba est surtout utilisée pour le bois gravé et le bois peint.

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